LE MONDE | Article paru dans l’edition du 15.08.06 > www.lemonde.fr
Les nuits sont moins belles de nos jours, du moins pour les patrons des boites de nuit. La fievre du samedi soir qui gagna la France a la fin des annees 1970 et au debut des annees 1980 est bien retombee. Selon les dernieres estimations du Syndicat national des discotheques et lieux de loisirs (SNDLL), dont le president a lui-meme ferme sa discotheque il y a 5 ans, il ne reste plus que quelque 2 000 etablissements ouverts, contre le double il y a vingt ans.
Jadis point d’orgue d’une soiree reussie, la discotheque n’est plus forcement l’endroit ou il faut etre vu et ou on s’amuse. Selon le barometre de la nuit publie en mai et realise par OpinionWay, un institut d’etudes marketing et l’editeur des guides de sortie CityVox, 40 % des Francais n’y ont meme jamais mis les pieds.
Pourquoi cette desaffection ? La discotheque a d’abord ete victime de l’apparition des bars musicaux. Ces endroits qui se sont developpes au debut des annees 1990 cumulent les avantages : ouverture plus tot dans la soiree, situation en centre-ville, pas de selection a l’entree et possibilite de faire quelques pas de danse tout en sirotant un verre. Specialises par genre de musique (latino, electro…), ces bars ont pu fideliser une clientele sure d’y retrouver des personnes partageant les memes gouts musicaux.
Mais le principal concurrent des boites de nuit est simplement la soiree entre amis. “Avec le developpement de la technique, il est devenu possible d’improviser une discotheque dans une cave, une salle louee ou chez un copain”, observe Patrick Malvaes, president du SNDLL.
La desaffection pour les discotheques a aussi ete amplifiee par le comportement de certains responsables de ces etablissements, souvent accuses de pratiquer une discrimination a l’entree. Deux gerants d’une discotheque grenobloise ont ete condamnes le 23 juin pour de telles pratiques. Quatre patrons de discotheques parisiennes, dont le celebre Queen sur les Champs-Elysees, sont convoques, le 10 mai 2007, par le tribunal correctionnel de Paris, a la suite d’une operation de “testing” organisee par l’association SOS Racisme. Des accusations que M. Malvaes relativise : “Ces pratiques revelent plus le racisme de la societe francaise que le comportement particulier des responsables de discotheque.” Mais le phenomene est suffisamment important pour qu’Azouz Begag, le ministre delegue a la promotion de l’egalite des chances, envisage de creer une formation pour les portiers de boites de
nuit, assortie d’un diplome national.
Souvent situes hors des agglomerations, ces etablissements contribueraient aussi a l’insecurite routiere. “C’est ignorer les efforts de prevention menes par les patrons de ces etablissements depuis ces dernieres annees”, plaide le president du SNDLL. Enfin les boites de nuit sont souvent vues comme des endroits ou circulent des drogues de toutes sortes. Un phenomene qui contribue a la fragilite economique de ces etablissements : les consommateurs de stupefiants ne boivent souvent que de l’eau !
En fait, l’image des discotheques n’a eu de cesse de se deteriorer au cours des annees 1990 avec la disparition des lieux “mythiques” qui continuaient a entretenir la fascination pour la vie nocturne. Le
Palace, qui fut la locomotive des nuits parisiennes au debut des annees 1980, a ferme definitivement ses portes en 1996.
Le Queen, club gay ouvert au debut des annees 1990, tente de survivre alors que sa clientele fetiche le boude depuis plusieurs annees. Les Bains-Douches, autre temple de la “branchitude” a la fin des annees 1980, esperent, apres des travaux, retrouver une partie de leur lustre d’antan. D’autres boites comme le Baron ou le Paris Paris tentent de reveiller les nuits de la capitale, mais la scene parisienne est loin d’etre representative de ce qui se passe en region.
“Les patrons de discotheque n’ont pas vu que leurs clients avaient change ou vieilli, observe M. Malvaes. Leur culture musicale s’est amelioree, aiguisee, ils ne satisfont plus du robinet a musique qui
leur etait servi dans les annees 1980.”
Pourtant certains signes montrent quand meme que les discotheques ont encore de beaux jours devant elles. Ceux qui les frequentaient il y a vingt ans y reviennent : selon le barometre de la nuit, 13 % des personnes entre 40 et 45 ans iraient au moins une fois par semaine. “C’est un moyen pour ceux qui ont eleve leurs enfants de rester dans le coup”, note M. Malvaes. Dans le meme temps, plus d’un quart des 15-19 ans retrouvent une fois par semaine le chemin des “dance floors”. Une proportion qui a augmente par rapport a la precedente etude realisee en 2005.
Autre tendance, la mode n’est plus a la techno qui se danse seul ; le rock, le slow ou meme le madison, qui se pratiquent a deux ou a plusieurs, font recette. “Cela traduit un besoin de rencontres”,
observe M. Malvaes. Plus de la moitie des Francais continuent de considerer que la nuit permet de rencontrer l’ame soeur, selon le barometre de la nuit.
“Desormais, les patrons de discotheque gerent leur etablissement differemment, en organisant des soirees a theme, en faisant venir des DJ (disc-jockeys) connus, la soiree doit etre concue comme un
spectacle”, note Philippe Guguen, directeur associe de CityVox. Ainsi Bob Sinclar ou Laurent Garnier font venir sous leur seul nom des centaines de personnes. Ce n’est plus le nom de la boite qui compte, mais celui du DJ.
Joel Morio